Emotion et storytelling : captiver votre audience

Emotion et storytelling : captiver votre audience

Le soleil n’est pas encore près de se coucher. Pourtant, les passants marchent d’un pas pressé pour rentrer. Sophia a un air inquiet sur son visage : il ne lui reste que 20 minutes pour rentrer chez elle, pourtant son trajet va en durer 35. Elle presse le pas, mais commence à désespérer au bout de 8 minutes de marche : l’objectif est encore loin d’être atteint, elle n’arrivera jamais chez elle à temps. Au loin, elle aperçoit une silhouette inanimée, ce qui est étrange vu que tout le monde se presse. En s’approchant, c’est bien ce qu’elle espérait : une trottinette électrique. Elle sort son téléphone, et 15 secondes plus tard, elle part à toute vitesse. A travers les rues de la ville, les cheveux au vent, un sourire s’affiche sur son visage.

Comme un sentiment de sérénité retrouvé.

Le storytelling, c’est une méthode de communication qui consiste à raconter des histoires, tirées de faits réels ou non, dont l’objectif est de convaincre son auditoire en créant un lien émotionnel. Elle rend la communication divertissante et mémorable pour le consommateur.

Largement utilisé dans la publicité ces dernières années, le storytelling se rapproche de la rhétorique, cet art oratoire antique dont Aristote a défini trois composants :

  • Le logos (ce que je dis) ;
  • l’ethos (la manière dont je le dis) ;
  • le pathos (l’émotion que je déclenche en le disant).

Le storytelling comme activateur de l’engagement affectif

Il est important de bien faire la différence entre convaincre et persuader ; l’un utilise la logique, et l’autre les émotions.

En entreprise, pour convaincre son auditoire, on communique généralement en s’appuyant sur des chiffres, des données claires. On mise sur les études de marchés, les statistiques, les prévisionnels financiers, etc… Des faits neutres dont on ne peut nier l’efficacité. Dans ce type de communication, c’est la logique qui domine.

Pourtant, gagner la sympathie de ses interlocuteurs ou stimuler leur motivation nécessite de pouvoir réellement les engager.

Or, une étude québécoise a révélé que <strong>la motivation basée sur l’affect avait un taux d’engagement bien plus fort. C’est ainsi que nombre d’employés tendent à exercer un travail associé à leurs valeurs, leurs exigences et intérêts personnels. Lorsqu’on est dans un environnement froid et que le seul but verbalisé est de faire des bénéfices, il est dur de trouver du sens dans ses actions quotidiennes et de s’investir dans son travail.

Cet engagement affectif se retrouve chez les consommateurs. Si les achats sont effectués suivant un besoin, le choix de l’article précis se fera selon des critères subjectifs.

C’est ce que montre un article de Murray dans Psychology Today :

  • D’après l’imagerie par résonnance magnétique fonctionnelle (IRMF), les consommateurs utilisent leurs émotions plus que les informations quand ils évaluent une marque ;
  • La réponse émotionnelle d’un consommateur a une influence beaucoup plus importante que le contenu sur son intention d’acheter un produit ;
  • Les émotions positives envers une marque ont une influence bien plus grande que la confiance ou d’autres jugements fondés sur les attributs de la marque sur la loyauté des consommateurs ;

C’est donc au niveau des émotions procurées qu’une marque se différencie de ses concurrents. Dans une publicité pour une voiture, on s’appuiera ainsi sur la liberté procurée par la conduite, plutôt que sur les détails techniques de la voiture.

C’est de cette logique que l’on parle dans l’extrait de Mad Men, ci-dessous :

Comme le rappelle Julien Pierre, enseignant chercheur à Audencia SciencesCom, « l’individu n’est pas rationnel, ni le marché. Ce sont les émotions qui dominent et qui pilotent notre processus décisionnel » . C’est ainsi que lorsqu’on reçoit une information, on va chercher inconsciemment à la relier à une expérience vécue, avec nos propres critères de mesures. On a donc besoin d’affect pour nous engager (ce qu’ont bien compris les réseaux sociaux).

Pour cela, plutôt que de présenter les objectifs de l’entreprise, ou les spécificités du produit de manière brute, utiliser des techniques narratives pour accrocher son auditoire sera plus impactant.

Comment faire du storytelling ?

Mais quelle histoire raconter, et selon quelles situations ? Dans l’article « Storytelling : le jeu des 7 histoires » du Harvard Business Review , on retrouve 7 types d’histoires :

  • Les anecdotes. Un fait mineur qui apporte une touche d’originalité au récit ;
  • Les témoignages. Mettre un visage et une histoire sur notre sujet peut permettre  d’attirer la sympathie de nos interlocuteurs dans des situations de communication ;
  • Les success stories. Des expériences particulièrement réussies, qui incitent les interlocuteurs à les reproduire ;
  • Les histoires-tremplin. Dans le même esprit que les success-stories, elles permettent de montrer un état d’esprit permettant un coup de pouce pour le passage à l’acte ;
  • Les apologues. Les histoires allégoriques qui introduisent une morale, par exemple pour les campagnes de sensibilisation ;
  • Les storytypes. Des histoires qui servent à exprimer une identité ;
  • Les mythes et légendes. Les récits fondateurs des marques.

Au cinéma, pour raconter une histoire efficace et créer du suspense (et ainsi garder le spectateur attentif), Robert McKee, professeur et spécialiste de l’écriture de scénario, explique qu’il est important de traiter des conflits fondamentaux « entre les attentes subjectives et la réalité impitoyable ». On insistera sur les ressentis du protagoniste face à ces forces adverses, et les méthodes qu’il emploie pour retrouver un équilibre.

En publicité, le storytelling doit avant tout s’adapter au produit, à l’image de marque et aux objectifs marketing de la campagne. Des règles classiques existent, imposant la présence de personnages humains, une évolution temporelle et l’absence du produit ou de la marque au sein du récit. Mais comme on peut le voir, il est possible d’adapter notre récit selon l’effet recherché.

Pour trouver une histoire digne d’être racontée, il faut se poser plusieurs questions : Que souhaite obtenir notre protagoniste ? Qu’est-ce qui l’en empêche ? Dans ce contexte, que fait-il pour réaliser son désir ? Enfin, il faut savoir prendre du recul sur son récit, et se demander s’il est plausible.

Mais le storytelling, ça ne serait pas un peu de la manipulation ?

C’est une question qui se pose, mais le storytelling ne représente qu’un angle différent de présenter un sujet : à travers notre point de vue sur celui-ci, nos émotions et notre passion entraînent nos interlocuteurs avec nous.

Pour autant, il convient de prendre en compte que le public n’est pas dupe. Ainsi, comme le met en avant McKee, pour toucher véritablement l’auditoire et gagner sa confiance, il est nécessaire de dépeindre notre sujet sous toute sa complexité. Raconter une version embellie de la réalité, sans évoquer de difficultés, peut faire naître une méfiance chez nos interlocuteurs, conscients que rien n’est jamais que positif. D’ailleurs, ce sont ces difficultés qui rendent le récit authentique et touchant.

En résumé, l’intérêt du storytelling est de partager sa vision à son public afin de lui montrer les possibilités offertes par notre marque ou produit. En se posant les bonnes questions, il devient possible de créer une histoire en accord avec nos valeurs et celles de nos interlocuteurs.


Sources :

Chef d’entreprise, 2020. « Qu’est-ce que le Storytelling ? » 23.06.20. Récupéré via : https://fiches-pratiques.chefdentreprise.com/Thematique/marketing-1052/FichePratique/storytelling-technique-marketing-qui-fait-appel-emotions-351183.htm

Cimelière, O. (2017). Communication : Jusqu’où peut-on raisonnablement aller dans l’usage des émotions ? 05.09.2017. Récupéré via : https://www.leblogducommunicant2-0.com/humeur/communication-jusquou-peut-on-raisonnablement-aller-dans-lusage-des-emotions/?cn-reloaded=1

Camel, E. (2019). “La communication interne, alliée sous-estimée dans l’engagement des employés ». Harvard Business Review France. 25.06.2019. Récupéré via : https://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2019/06/26549-la-communication-interne-alliee-sous-estimee-dans-lengagement-des-salaries/

Bentein, K., Vandenberghe, C. Stinglhamber, F. (2000). “L’engagement des salariés dans le travail ». Revue Québécoise de Psychologie, vol. 21 n°3, 2000. Récupéré via : https://www.researchgate.net/profile/Florence-Stinglhamber-2/publication/255656732_L%27engagement_des_salaries_dans_le_travail/links/550c25d30cf2528164db7829/Lengagement-des-salaries-dans-le-travail.pdf

Murray, P. N. (2013). “How Emotions Influence What We Buy. The emotional core of consumer decision-making.” Psychology Today. 26.02.2013. Récupéré via : https://www.psychologytoday.com/intl/blog/inside-the-consumer-mind/201302/how-emotions-influence-what-we-buy

Pierre, J. (2018). Les émotions : une question de communication. Audencia. 02.01.2018. Récupéré via https://sciencescom.audencia.com/articles/actualite/les-emotions-une-question-de-communication/

Plasse France. (2017). « Storytelling : le jeu des 7 histoires ». Harvard Business Review France. 22.08.2017. Récupéré via : https://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2017/08/16556-storytelling-jeu-7-histoires/

Fryer, Bronwyn. (2021). “Le storytelling, ou l’art de susciter l’émotion”. Harvard Business Review, 25.01.2021. Récupéré via : https://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2021/01/33186-le-storytelling-ou-lart-de-susciter-lemotion/

Dessart Laurence. (2017). « Storytelling digital: quel format adopter ?” Harvard Business Review France. 02.03.2017. Récupéré via : https://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2017/03/14543-storytelling-digital-quel-format-adopter/